@ECOLOGIEI

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2006 création du HUB (VIADEO) *21ème Siècle-'ECOLOGIE & INNOVATION': DEVELOPPEMENT DURABLE DU XXIe siècle!2.0* Think Tank International : + de 3000 membres. *Morgane BRAVO Avocat de formation, études & expérience Diplomatique, Sciences Politiques... « Euroblogeur »...2002 en France : Candidate (titulaire) aux élections Législatives, dans la 14ème Circonscription de Paris. 16e arrondissement (Sud). Fondatrice *Morgane BRAVO, from Paris, France. She's graduate Lawyer and have a Master’s degree in Diplomacy & Political Science...Diplomatic experience.

samedi 10 janvier 2009

***Sommes-nous trop nombreux ?***

***Mardi 23 septembre 2008, retenez cette date. Ce fut "le jour du dépassement", le earth overshoot day de l'année. La date où la population humaine a épuisé les ressources produites en un an par le mince manteau vivant qui enveloppe la Terre, la biosphère ou écosphère. Depuis, nous allons au-delà de ce que la planète nous offre – de sa biocapacité.

Comment identifions-nous ce mardi fatal si précisément ? Grâce à l'organisation non gouvernementale canadienne Global Footprint Network, fondée en 2003, qui travaille à quantifier l'"empreinte écologique" des activités humaines. Cet outil d'analyse, sorte de " panier de la ménagère " global, ou de PIB à l'envers, a été mis au point dans la foulée du Sommet de la terre de Rio, en 1992, par les universitaires William Rees et Mathis Wackernagel. Il est aujourd'hui reconnu par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – quoique sans cesse critiqué, réévalué. Pour le calculer, Global Footprint Network compare le rythme auquel, chaque année, la nature produit des ressources – aliments, combustibles, etc. – et assimile les déchets, et le rythme auquel l'humanité consomme ces ressources et produit des déchets. Quand nous excédons les possibilités terrestres, nous atteignons "le jour du dépassement". Le premier, selon l'ONG, est tombé le 31 décembre 1986. En 1996, il se situait début novembre. En 2007, le 6 octobre. Aujourd'hui, le 23 septembre. Et dans dix ans ? Notre crédit terrestre s'épuise – après le crédit bancaire.

Une représentation frappante valant mieux qu'un long discours, les chercheurs évaluent l'"empreinte écologique" d'Homo sapiens en hectares terrestres. l'OCDE en donne cette définition : "la mesure de la superficie biologiquement productive nécessaire pour pourvoir aux besoins d'une population humaine de taille donnée". Les derniers calculs montrent que nous avons largement dépassé notre quota – globalement. La Terre ne peut aujourd'hui offrir que 1,78 hectare global (hag) par habitant, pas un centimètre carré de plus. Or la consommation mondiale actuelle exige 2,23 hag productifs per capita. Et les calculs montrent que si l'ensemble de la population humaine adoptait aujourd'hui le mode de vie des Européens et des Américains – voitures, eau chaude à volonté, viande chaque jour, énergies fossiles à la demande… –, il lui faudrait disposer en surface de quatre à cinq planètes Terre.

Ne riez pas ! Les nouvelles classes moyennes chinoises et indiennes ont commencé de vivre à l'occidentale – qui oserait le leur reprocher ? Ajoutez les pollutions de toutes sortes associées à ce train de vie. En octobre 2007, quatre chercheurs suisses rattachés à Futuribles, un centre indépendant d'étude et de réflexion prospective sur le monde contemporain, ont ajouté les polluants et la "charge en carbone" à l'empreinte écologique des populations : ils en déduisent, au regard de la capacité d'assimilation des émissions de CO2 par la biosphère, que onze planètes Terre seraient nécessaires pour satisfaire les besoins d'une humanité qui aurait adopté le mode de vie occidental.

Sombres prédictions

Comment s'étonner alors que beaucoup s'interrogent : et si nous étions trop nombreux, déjà, pour cette Terre ? Notre démographie n'est-elle pas la cause de nos malheurs écologiques, mais aussi politiques, sociaux, militaires, comme l'affirmait déjà l'austère Thomas Malthus… en 1798 ? Les "émeutes de la faim" qui ont secoué en avril 2008 des pays très peuplés – Burkina Faso, Cameroun, Côte d'Ivoire, Egypte, Haïti, Indonésie, Maroc, Philippines, Nigeria, Sénégal… – ne lui donnent-ils pas raison ? Le pasteur britannique Thomas Malthus, économiste, affirmait que la population humaine croît de façon exponentielle (2, 4, 8, 16, 32…) et les ressources, de manière arithmétique (1, 2, 3, 4, 5…). Inévitablement, nous irions vers l'épuisement des biens, la famine, la guerre de tous contre tous.

Le Prix Nobel d'économie 2008, Paul Krugman, a montré que Malthus avait raison en son temps : les paysans français de 1789 vivaient dans une pénurie chronique, 20 % d'entre eux étaient affaiblis par la malnutrition. Mais au XIXe siècle, ses sombres prédictions ont été démenties par l'accroissement des rendements agricoles, l'essor des échanges internationaux et des biens de subsistance, sans oublier l'immigration. Autrement dit, l'esprit aventureux et les progrès des techniques, le génie humain, ont désavoué Malthus.

Las. Nous savons aujourd'hui qu'il faut relativiser les succès du "progrès" et du rendement. L'empreinte écologique, le réchauffement qui s'accélère combinés à une croissance forte de la population ne ramènent-ils pas l'humanité à une situation "malthusienne" – une spirale tragique ? Beaucoup le pensent, et pas seulement les militants de la décroissance ou les radicaux du mouvement néomalthusien Negative Population Growth (NPG). Prenez Ted Turner, fondateur de la chaîne d'actualités CNN, grand financier de la Fondation des Nations unies. Cet homme informé déclarait en avril 2008 sur la chaîne PBS : "Nous sommes trop nombreux. Voilà pourquoi nous avons le réchauffement climatique. […] Tous les habitants de la planète doivent s'engager à avoir un ou deux enfants, c'est tout. […] Ne pas contrôler la population est un suicide." Ouvrez notre-planete.info, un site proche de l'ONG Les Amis de la Terre, tapez "surpopulation". Parmi les premiers articles : "Homo sapiens est la pire espèce invasive." Extraits : "Nous feignons d'ignorer la finitude d'un monde dans laquelle notre multitude puise allègrement et sans relâche. Il faut quelque chose de plus qu'un couple pour faire un enfant, il faut au moins une planète viable. Posséder une famille nombreuse n'est-il pas un délit environnemental, une grave atteinte à la planète et à l'avenir commun ?"

Ecoutons maintenant l'inquiétant directeur de la CIA de George W. Bush, le général Michael V. Hayden, autre homme informé. S'appuyant, en avril 2008, sur les chiffres de l'ONU qui annoncent une population de 9 milliards d'humains en 2050, il prévoit un dangereux déséquilibre démographique entre l'Afrique et l'Europe vieillissante – synonyme de tensions aux frontières et d'une immigration à risque –, ainsi que des "troubles" et des "violences" dans les pays où la population va tripler – Afghanistan, Liberia, Niger, République démocratique du Congo – ou doubler – Ethiopie, Nigeria, Yémen.

Popos angoissés

Dès qu'on évoque la surpopulation, on ouvre la boîte de Pandore. Vieux démons, angoisse du futur, fantasmes collectifs – peur de l'invasion, du pullulement – jaillissent pour se mêler à des peurs très concrètes. En 1932 déjà, quand la population humaine a atteint 2 milliards, le philosophe Henri Bergson écrivait : "Laissez faire Vénus, elle vous amènera Mars." En 1948, Albert Einstein mettait solennellement en garde l'Abbé Pierre contre les "trois explosions" menaçant notre "monde mortel" : la bombe atomique, la bombe information, la bombe démographique. En 1971, dans la lignée du Club de Rome, l'écologiste Paul R. Ehrlich, spécialiste des populations d'insectes, publiait le best-seller La Bombe P (Fayard). Il y dénonçait "la prolifération humaine", qu'il assimile à un "cancer" : "Trop de voitures, trop d'usines, trop de détergents, trop de pesticides, […] trop d'oxyde de carbone. La cause en est toujours la même : trop de monde sur la Terre." Aujourd'hui, il suffit d'écouter les émissions "de société" à la télévision, de parcourir les sites écologiques ou les chats d'actualité des médias pour retrouver ces propos angoissés. On lisait par exemple dans les débats du monde.fr, après un article consacré au "jour du dépassement" : "Quand, dans trente ans, nous serons 1,5 milliard de plus sur Terre, je ne donne pas cher du concept d'acquis sociaux, de progression du pouvoir d'achat et autres balivernes du même tonneau. " (25 septembre 2008).

Cette angoisse peut aussi être amplifiée par des mensonges modernes sur l'invasion venue du Sud surpeuplé. Mais, contredisant cette démagogie, un rapport publié en 2004 par le département des affaires économiques et sociales de l'ONU (World Population to 2300) indique que les immigrés venus des pays pauvres contribueront pour 4 % à la croissance démographique des pays développés d'ici à 2050 – aujourd'hui pour 3 % –, ce qui rajeunira une Europe vieillissante. Toutes les études confirment que, dans leur immense majorité, les populations du Sud veulent continuer à vivre où elles sont nées. Même dans les situations de crise – guerre civile, sécheresse, inondations… –, les habitants émigrent à proximité ou dans un pays voisin, puis reviennent toujours. Ce ne sont pas des "envahisseurs". Ils souhaitent vivre mieux, en paix, chez eux – comme le reste de l'humanité.

C'est patent, la question dite de la surpopulation remue des peurs irrationnelles. Prenons un autre exemple, moins politique. J'ai rencontré plusieurs Parisiennes de 30 ans, en couple ou célibataires, qui se disent bien décidées à ne pas avoir d'enfant. Sans prétendre ici donner une explication univoque – certaines veulent préserver leur "capacité de création", d'autres leur relation de couple, ou leur liberté, ou les trois –, force est de constater : la surpopulation est revenue à chaque fois dans nos entretiens, mêlée à des analyses inquiètes sur l'état de la planète. Tout comme dans le livre best-seller de Corinne Maier, No Kid. Quarante raisons de ne pas avoir d'enfant (Michalon, 2007), où une des raisons invoquées est : pourquoi ajouter un enfant à un monde surpeuplé ?

L'une de ces femmes, attachée de presse, explique qu'à force de vivre en ville, elle n'a plus l'impression de participer "aux processus naturels" – elle ne voit plus le renouvellement de la vie, l'arrivée du printemps, "à peine le ciel". Elle ne se sent plus "une femme archaïque" : avec des enfants. La deuxième, ingénieur, n'espère plus rien de l'avenir de l'humanité. Elle garde en mémoire les massacres du XXe siècle, persuadée que le réchauffement, combiné à la surpopulation, va apporter de nouvelles guerres, des famines ou pire. Alors, faire des enfants… Une autre s'indigne : "Il existe déjà tant d'enfants pauvres autour du monde. Je préfère adopter." Une quatrième, voyageuse, a vu les hindous et les musulmans s'affronter en Inde, les riches s'armer dans des ghettos protégés en Amérique latine. "C'est affreux, dit-elle, une autre guerre vient, la guerre de la surpopulation. La haine de l'autre devient une réaction de survie. Toutes les valeurs s'inversent. Espérer que les Africains meurent du sida, ou s'entre-tuent, tourne à la blague de bureau : Comme ça, ils seront moins ! " Sombres visions. Alors, faut-il redevenir malthusiens ?

La "bombe P" n'explosera pas

"La démographie a toujours été associée à la fin du monde, à la disparition de l'Homme, au Jugement dernier, note le démographe Hervé Le Bras. Procédant par projections, on l'interprète comme des prédictions, toujours catastrophistes. Au début du siècle, en Europe, on s'inquiétait surtout de la dépopulation ! Les Français devaient procréer, il ne fallait pas laisser les Allemands être plus nombreux que nous. Les économistes associaient natalité et prospérité. Dans les années 1970, tout a changé avec les écologistes comme René Dumont, qui prédisaient l'épuisement rapide des ressources. Certains démographes annonçaient alors une population de 12 milliards en 2100. Aujourd'hui, nous revoyons tous ces chiffres à la baisse."

Hervé Le Bras, directeur d'études à l'Institut national d'études démographiques (INED), raconte avec humour comment toutes les prédictions à long terme, bien étayées, sur le peuplement humain – le démographe américain Joel Cohen en a relevé 68 – se sont révélées fausses. Soit, mais aujourd'hui ? Qu'en est-il des prévisions à court terme – à l'horizon 2030, 2050 ? De fait, en moins de 200 ans, l'humanité est passée de 1 milliard d'habitants (au début du xixe siècle) à 6 milliards (en 1999). Entre 1987 et 1999, soit en treize ans, de 5 à 6 milliards. Aujourd'hui, beaucoup des prévisions pour 2050 tournent autour de 8,4 à 9,5 milliards de Terriens – soit 3 milliards d'hommes en plus. Cet accroissement exponentiel qui effrayait tant Malthus s'arrêtera-t-il un jour ? Aurons-nous assez de ressources pour nous nourrir ? Oui et oui. Voilà la grande nouvelle des études récentes. Aujourd'hui, démentant les alarmistes, les démographes décrivent tous, partout autour du monde, une forte baisse de la fécondité des femmes – donc, à terme, de l'accroissement de la population. Selon eux, comme d'après l'ONU, la " bombe P " n'explosera pas. Que s'est-il passé ? Simplement, sur les cinq continents, les femmes font moins d'enfants.

"Personne n'avait anticipé la baisse rapide de la fécondité dans les pays en voie de développement, explique Hervé Le Bras. Prenez l'Iran. D'une fécondité de 6,5 enfants par femme en 1985, le pays est désormais à 2 enfants, comme en France ! En Chine, beaucoup pensaient qu'il allait être difficile d'imposer l'enfant unique à cause de la tradition de l'héritier mâle, de leur civilisation , etc. Mais cela a été relativement aisé, et rapide. On compte aujourd'hui 1,75 enfant par femme. Ainsi, 400 millions de Chinois annoncés par les courbes démographiques n'ont pas vu le jour. On peut penser que les Chinois étaient prêts à l'accepter. En Inde, cette politique de contrôle des naissances a été moins bien reçue. Dans le nord du pays, il y a encore 4,5 enfants par femme. Mais, en moyenne, l'Inde est passée au-dessous de 3 enfants par famille."

Quelles qu'aient été les politiques menées, tous les effets d'annonce catastrophistes sur la spirale des naissances des pays pauvres, parfois teintés de racisme ou d'une conception agressive du "choc des civilisations", ont été démentis.

" Aujourd'hui, précise Hervé Le Bras, le taux de croissance démographique mondial ralentit. 1,21 % par an en 2006, 0,37 % attendu en 2050. Pourquoi ? Le nombre d'enfants par femme baisse sur les cinq continents. Au Mexique, au Brésil, on tourne autour de 2,2 à 2,3 enfants par famille, 2,4 en Indonésie. En Afrique, si les femmes du Rwanda et d'Ouganda font encore 7 à 8 enfants, au Kenya par exemple, de 8 enfants par femme dans les années 1970, elles sont passées à 4 aujourd'hui. Les renversements de tendance se font très vite."

Partout, les femmes enfantent moins. Le phénomène s'universalise. Souvent, pour que la natalité baisse, il faut selon les démographes un "élément déclencheur" qui transforme les mœurs. Par exemple, en Algérie, dans les années 1970, les femmes se mariaient très jeunes, enfantaient tôt et portaient en moyenne plus de 7 enfants au cours de leur vie. Aujourd'hui, toujours en moyenne, elles se marient à 29 ans et font 2,4 enfants. En Europe du Sud (Italie, Espagne, Grèce), on compte 1,4 enfant par femme – et cette tendance gagne toute la Méditerranée. Dans leur étude sur la démographie du monde musulman, Le Rendez-vous des civilisations (Seuil, 2007), Youssef Courbage et Emmanuel Todd montrent que la fécondité des femmes est passée de 6,8 enfants en 1975 à 3,7 aujourd'hui – 2,2 au Maroc, 2,1 en Tunisie. Cette baisse, remarquent-ils, suit partout l'alphabétisation des femmes. Cette prise de contrôle inaugure, nous disent les auteurs, un bouleversement des mentalités "qui irradie les rapports d'autorité, les structures familiales, les références idéologiques (et religieuses), le système politique". Sur ces questions le "choc des civilisations" annoncé par les conservateurs américains n'aura pas lieu.

Si la "bombe P" des malthusiens n'explosera pas, c'est que dans toutes les cultures, sur tous les continents, contredisant nombre d'idées sur l'islam, l'acceptation du modèle de la famille à deux enfants gagne rapidement. Aujourd'hui, si cette révolution des mœurs se poursuit, les démographes de l'ONU tablent sur une population humaine à 8,2 milliards en 2030, 9 milliards en 2050 – et une stabilisation à 10,5 milliards en 2100. La population humaine aura alors achevé sa "transition démographique" : le ralentissement de la fécondité prendra effet en dépit du vieillissement général. Certains chercheurs, comme Mike Davis, auteur d'une étude inquiétante sur la prolifération des bidonvilles (Le Pire des Mondes possibles, La Découverte, 2007), relativisent cependant cet enthousiasme. " Je m'étonne, écrit-il au Monde 2, que les prévisions des démographes de l'ONU pour le siècle varient de quelque 3,5 milliards d'habitants entre les évaluations basses et hautes : c'est-à-dire la population mondiale quand j'étais enfant…" En effet, il suffirait d'une variation de 0,25 % par rapport au scénario de 2,1 enfants par femme (2,35), pour se retrouver 30 milliards avant 2050. Mais, toutes les études le confirment : la baisse de la fécondité féminine autour de deux enfants est générale.

Nourrir 9 milliards d'humains

Au-delà des angoisses et des peurs, la véritable grande question posée par le peuplement sera celle des ressources : les pays, les sols, la Terre pourront-ils nourrir – et supporter – une population de 9 ou 10 milliards d'habitants ? Ici, un détour s'impose. Dans les faits, parler de population "globale" comme d'un grand cheptel n'a pas grande signification. Comment comparer le mode de vie des habitants du Laos et de la Finlande, à population égale ? De l'Algérie, terre d'émigration, et du Canada, d'immigration ? Aujourd'hui la natalité des pays les moins développés progresse six fois plus vite que celle des pays développés – qui vieillissent et se stabilisent. En 2050, 86 % de la population mondiale habitera un pays pauvre ou émergent – la moitié en Chine et en Inde, dotés d'une politique antinataliste. Les répercussions d'un tel peuplement varieront fortement d'une région et d'un pays à l'autre, selon la fertilité des sols, l'eau, la qualité des terres. Mais surtout selon les politiques des gouvernements – économiques, agricoles, sociales. Le Prix Nobel d'économie 1998, l'Indien Amartya Sen, a bien montré combien la pauvreté et les famines découlent avant tout, non d'une population trop nombreuse, mais du manque de vitalité démocratique et de l'absence d'Etat social. L'Inde, par exemple, a connu des grandes famines jusqu'en 1947, date de son indépendance. Ensuite, le multipartisme, l'existence d'une opposition et d'une presse libre ont permis de prévenir et circonvenir les désastres. Qui plus est, l'Inde nourrit aujourd'hui une population de 1 milliard d'habitants parce qu'elle a réussi sa "révolution verte" – irrigation, conservation des sols, engrais, rendements – grâce à une politique d'Etat résolument tournée vers l'autosuffisance.

Aujourd'hui, 850 millions de personnes souffrent de malnutrition dans le monde. La plupart vivent dans les pays du Sud qui ont été secoués par les émeutes du pain du printemps 2008. Est-ce parce qu'ils sont trop peuplés ? En juin, réagissant dans l'urgence, les responsables de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ont tenu un sommet. Ses experts n'ont pas accusé la surpopulation, mais avant tout l'augmentation de 50 % du prix des céréales. Ils ont aussi dénoncé une production agricole mondiale insuffisante. Pas à cause de l'épuisement des terres, mais de leur mauvais usage.

Les agronomes rappellent combien, depuis un demi-siècle, sans se soucier des populations locales, les pays du Nord ont financé les cultures d'exportation des pays du Sud (notamment en Amérique latine) – le coton, l'herbage d'élevage – au détriment des cultures vivrières. A l'inverse de ce qui s'est passé en Inde, ces politiques néocoloniales ont ruiné l'agriculture de ces pays, avec l'aide de gouvernements autoritaires et corrompus. Résultat : l'Afrique subsaharienne, hier autosuffisante, se trouve contrainte d'importer ses produits de subsistance. Ici encore, comme l'analyse Amartya Sen, rien ne sert d'accuser la croissance démographique. Il faut s'en prendre aux politiques. Voilà pourquoi la FAO appelle maintenant à une gouvernance agricole mondiale, sous l'égide de l'OMC, aidée par la Banque mondiale, pour relancer les productions vivrières et de céréales – jusque dans les jachères d'Europe. Avec une politique agricole concertée, la planète pourrait tout à fait survenir aux besoins d'une population de 10 milliards d'habitants .

Le rapport 2008 de l'OCDE, Perspectives de l'environnement à l'horizon 2030, est aussi alarmiste que la FAO. Il nous promet, en l'absence d'une politique mondiale volontariste, un avenir très désagréable. Nous en connaissons le refrain. Un réchauffement de 1,7 oC à 2,4 oC en 2050 – prévision basse. Sécheresse, tempêtes, inondations, destruction des infrastructures. Un appauvrissement considérable des " précieux services des écosystèmes ". L'accroissement du " stress hydrique " pour 3 milliards d'humains – une eau mal répartie. Une pollution accrue de l'air. La croissance de la population humaine est-elle la cause première des fléaux annoncés ? Dans une lettre au Monde 2, des experts de l'OCDE répondent : "La population ne pose pas un problème en soi. Les pressions exercées sur les ressources naturelles et l'environnement ne proviennent pas du nombre d'habitants mais de leurs habitudes de consommation."

Politiques irresponsables

Notre malheur viendra des modes de vie dépensiers, des politiques industrielles, des égoïsmes nationaux – de comportements que nous pourrions changer. Quelques exemples frappent. Selon le rapport 2008 de l'Agence internationale de l'énergie (World Energy Outlook 2008), des millions de voitures rouleront encore au pétrole en 2030, émettant quantités de CO2. Pourquoi au pétrole ? Parce que les grands constructeurs automobiles résistent pour changer leurs chaînes de montage et fabriquer des voitures "vertes" – comme les y engagent les gouvernements qui les renflouent depuis la crise financière de 2008. Le rapport de la FAO, L'Etat de l'insécurité alimentaire dans le monde (novembre 2008), note qu'avec l'amélioration du niveau de vie des pays émergents, des millions de personnes mangeront plus de viande. Ce qui nécessitera un bétail plus nombreux, buvant quantité d'eau, paissant sur des terres dévolues aux herbages – donc perdues pour les cultures vivrières. Ici encore, n'y a-t-il rien à faire ? Ou faut-il mener campagne pour que les Occidentaux contiennent leur "boulimie de viande", comme le préconise l'économiste Jeremy Rifkin ?

Autre remarque des experts de l'OCDE au Monde 2. Nous savons parfaitement que, par leurs vertus régénératrices, les écosystèmes nous sauvent d'une pollution terrestre accélérée et d'un appauvrissement général. Mais gouvernements et industriels, aux Etats-Unis comme dans les pays émergents, poursuivent encore des politiques irresponsables : subventions à l'agriculture intensive, aux pétroliers pollueurs, laisser-faire à l'emploi de produits chimiques, à la pêche industrielle – sans oublier les émissions massives de CO2. "Si aucune action nouvelle n'est entreprise, nous risquons de modifier de façon irréversible les conditions environnementales sur lesquelles repose le maintien de la prospérité économique" : les conclusions du rapport 2008 de l'OCDE sont encore plus inquiétantes que celles du rapport Stern (L'Economie du changement climatique, 2006), qui appelait à consacrer 1 % du PIB mondial à "décarboner" l'industrie. A nouveau, les politiques sont en cause. Pas le nombre d'habitants.

Frédéric Joignot
LE MONDE 2
09.01.09

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