***L'annulation par le Conseil constitutionnel, le 29 décembre, de la taxe carbone met le gouvernement en difficulté sur une des mesures phares de sa politique environnementale. Nicolas Sarkozy s'est donné jusqu'au 1er juillet pour introduire dans la fiscalité nationale ce nouvel outil qui doit inciter ménages et entreprises à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre.
Ce qui était prévu pour les ménages ne sera pas modifié, pas plus, a priori, que les exonérations accordées à l'agriculture, à la pêche et au transport routier. La discussion est en revanche totalement rouverte sur le sort de l'industrie. Le Medef a demandé de reporter toute décision à 2011.
Le président de sa commission du développement durable, Jean-Pierre Clamadieu, par ailleurs PDG du groupe chimique Rhodia, estime que, plutôt que de s'obstiner à créer une taxe carbone française, il serait préférable d'y réfléchir à l'échelle européenne.
Le Medef reste-il favorable à l'instauration d'une taxe carbone en France ?
Oui, mais à deux conditions. Premièrement, que la taxe carbone que devront payer les entreprises donne lieu à une restitution claire, comparable au chèque vert que recevront les ménages. La taxe carbone ne doit pas être une recette nouvelle pour l'Etat.
Deuxièmement, il faut trouver une articulation acceptable avec le système européen d'échanges de quotas d'émissions de CO2. Une taxe carbone à 17 euros aurait un impact économique insupportable pour le millier de sites industriels qui sont déjà dans ce système. Elle porterait atteinte à l'ossature du tissu industriel français.
D'un point de vue économique, superposer une taxe au système européen, qui agit sur les émissions de gaz à effet de serre en réduisant progressivement les quotas accordés aux gros émetteurs de l'industrie, n'a pas de sens. La combinaison des contraintes européennes et des principes posés par le Conseil constitutionnel rend très difficile la recherche d'une solution satisfaisante.
Pour le gouvernement, la suppression de la taxe professionnelle, qui allège la charge fiscale des entreprises de plusieurs milliards d'euros, vaut compensation. N'est-ce pas suffisant ?
La réforme de la taxe professionnelle, qui est une très bonne décision, ne peut justifier une taxe carbone qui ne serait pas compensée par un mécanisme identifiable. Le lien entre ces deux prélèvements est ténu, et les entreprises qui acquittent le premier ne sont pas forcément celles qui seront les plus concernées par la nouvelle fiscalité écologique.
Cette question n'avait pas été examinée d'assez près par la commission d'experts présidée par Michel Rocard, à laquelle j'ai participé. Il faut rouvrir le dossier. Plusieurs solutions existent mais j'observe avec intérêt l'exemple de la Suède, où l'on a choisi de compenser la taxe carbone par une baisse des cotisations sociales. Les entreprises suédoises bénéficient par ailleurs d'un taux de taxe carbone réduit de 80 %, pour préserver leur compétitivité.
Michel Rocard propose de remplacer le système européen d'échanges de quotas par une taxe carbone européenne. Qu'en pensez-vous ?
Le système des quotas d'émissions est le seul outil existant à l'échelle de l'Europe, et il fonctionne. Il permet d'agir sur un tiers des émissions européennes et a permis à l'Union d'être la seule région du monde à respecter les engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto. Il est en voie d'être copié par les Etats-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande… Ce serait une très mauvaise idée de le démanteler.
Cela étant, il y a la place, à côté de ce marché qui traite seulement de la situation des gros émetteurs, pour une approche communautaire de la fiscalité des émissions diffuses dans le transport, l'agriculture, le bâtiment…
L'Union européenne est-elle le bon échelon pour instaurer la taxe carbone ?
Ce serait, bien sûr, la meilleure solution.
La conférence de Copenhague sur le climat a-t-elle constitué pour vous un échec total ou a-t-elle permis de faire un pas ?
Il faut appeler les choses par leur nom: Copenhague est un échec. Je regrette que l'Europe, qui est la région la plus engagée dans la lutte contre le changement climatique, n'ait pas réussi à entraîner le reste du monde. Nous avons abouti à un accord a minima, dicté par les contraintes politiques des Etats-Unis et de la Chine.
Deux scénarios sont maintenant possibles : l'enlisement et le recul de la préoccupation pour le climat sur l'agenda international, ou un sursaut qui passe par l'engagement des grands pays émetteurs dans un plan d'action comportant des objectifs concrets. Nous sommes bien sûr pour la deuxième solution, car la lutte contre le changement climatique demeure pour nous une priorité.
Il n'est pas nécessaire d'aboutir à un accord à 190 pays et il faut réfléchir à une enceinte de négociation plus adaptée que les Nations unies, qui ont montré leurs limites.
L'Union européenne doit-elle continuer à aller de l'avant et porter son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 % à 30 % d'ici à 2020 ?
Non. Les conditions ne sont pas réunies pour que l'Europe aille plus loin dans l'objectif de réduction de ses émissions. Il faut avoir une approche pragmatique : l'Europe doit être capable d'exercer son leadership sans sacrifier la compétitivité de son industrie. Elle ne doit pas être naïve.
Elle ne peut résoudre seule la question du climat, alors que ses émissions ne représentent que 16 % du total mondial. Si elle est seule à mener le combat, ce sera la double peine: son industrie sera fragilisée et le réchauffement climatique ne sera pas enrayé.
M. Sarkozy souhaite protéger l'industrie européenne du dumping environnemental en instaurant une taxe carbone aux frontières. Est-ce une bonne idée ?
Conceptuellement oui, mais difficile à mettre en œuvre. Le risque serait qu'elle déclenche une guerre commerciale dont personne ne sortirait gagnant. La bonne solution, c'est la convergence des politiques dans le cadre d'un accord mondial contraignant.
Laurence Caramel
LE MONDE
12.01.10
mardi 12 janvier 2010
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