***La conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Poznan, en Pologne, s’est soldée par un bilan mitigé. Les participants ont reconnu qu’il était temps de passer à l’étape suivante des négociations, et des éclaircissements ont été apportés sur certaines questions, mais sur le fond, les choses n’ont guère avancé.
Certains peuvent douter que les États prennent suffisamment au sérieux l’urgence de la lutte contre le réchauffement climatique. Cependant, un certain nombre de pays et de régions ont mis sur la table leurs plans de réduction des émissions et, malgré la lenteur des discussions internationales, un consensus émerge bel et bien, au moins sur le cadre d’un nouvel accord mondial au prochain sommet de l’ONU sur le climat, à Copenhague en décembre 2009.
Nul ne peut prédire ce qui se passera alors. Mais l’on sait que les instruments qui permettent de lutter contre le changement climatique sont déjà disponibles ou accessibles. Reste à trouver l’engagement et la détermination nécessaires, à l’échelle internationale, pour les mettre en place.
Certains de ces instruments sont présentés dans une brochure publiée par l’OCDE pour la conférence de Poznan et disponible en ligne.
Les perturbations économiques actuelles complexifient la donne. Alors que nous mobilisons tous nos moyens pour endiguer la crise financière et restaurer la croissance, l’inaction contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) conduit progressivement la planète vers une catastrophe infiniment pire.
La bonne nouvelle est qu’il est encore temps. Comme l’indique L’atténuation du changement climatique : que faire ?, même si certains effets du changement climatique sont irrémédiables, des mesures prises aujourd’hui contribueraient à atténuer les dangers les plus graves et à éviter une accumulation irréversible des GES.
Si les mesures identifiées par l’OCDE sont intégrées dès maintenant aux panoplies de mesures, elles peuvent être rentables et relativement indolores dans la première phase de leur application. Cela nécessite un signal politique clair pour le long terme. Comme il a été dit à Poznan, à d’autres conférences ou par de nombreux experts ces dernières années, différer l’action signifie courir au désastre, avec des coûts bien supérieurs à supporter.
Par exemple, miser sur une hausse durable des prix de l’énergie pour faire évoluer les comportements en faveur d’une baisse des émissions est irréaliste, comme le montrent les récents reculs du prix du pétrole. En outre, le charbon demeure une source d’énergie très importante, notamment aux États-Unis, en Allemagne ou en Chine, et l’exploitation de pétroles non conventionnels comme les sables asphaltiques du Canada se développe. Toute réduction d’émissions dans d’autres domaines, comme le transport routier, risque d’être annulée par l’augmentation de la production d’énergie à partir de combustibles fossiles de ce type.
Seule une approche internationale ambitieuse, globale et radicale de la réduction des émissions est à la hauteur de l’enjeu. Avec l’élargissement du consensus mondial sur la nécessité de limiter les émissions de GES, on peut espérer qu’un cadre international d’action sera adopté à Copenhague. Mais décider de mesures radicales nécessite vision et courage politiques : en effet, d’après la plupart des modèles prévisionnels, la stabilisation des concentrations de GES à un niveau d’impact climatique modéré – au lieu de grave – exige des émissions mondiales au tiers ou au quart de leur niveau de 2005. Ce qui signifie des efforts considérables pour transformer nos modes de production et de consommation d’énergie.
Cette transformation est économiquement rationnelle et le ralentissement économique actuel ne peut servir de prétexte pour temporiser, selon le rapport. Au contraire, réduire significativement les émissions peut contribuer à assurer aux pays une croissance plus durable à long terme, notamment en réduisant les risques économiques et sociaux liés au changement climatique.
Une stratégie économiquement rationnelle consiste à réduire les émissions en commençant par les nombreuses méthodes peu coûteuses disponibles, puis à introduire graduellement des modifications plus radicales et coûteuses. Par exemple, les techniques permettant de réduire fortement les rejets de méthane des décharges sont insuffisamment utilisées. Il existe aussi de nombreuses possibilités d’augmenter l’efficacité énergétique à peu de frais, voire sans frais du tout, mais le manque d’information et certains obstacles liés au marché freinent leur adoption. Soulignons que, du point de vue économique, cette approche progressive offrirait un certain répit sur les 10 à 15 prochaines années. Mais une stratégie de long terme, permettant d’atteindre les objectifs initiaux par ces moyens peu contraignants, ne peut fonctionner que si elle est mise en place dès maintenant.
Si l’on appliquait dans un premier temps des solutions peu coûteuses et facilement accessibles, on n’aurait pas à déclasser, au prix fort, des équipements fortement émetteurs tels que les usines de production électrique, bien avant leur fin de vie. En différant leur remplacement, on se donne le temps de planifier les investissements et de développer de nouvelles technologies plus respectueuses du climat.
Pour être efficace, un programme doit être complet quant au nombre de sources de GES visées et quant à sa couverture géographique en termes de pays participants. Selon le rapport, si cette couverture était incomplète, les coûts seraient très élevés, en particulier parce que deux tiers des émissions de GES proviennent de pays en développement non membres de l’OCDE, et que leurs émissions augmentent. Il est donc indispensable que les principaux pays en développement émetteurs de carbone contribuent eux aussi à atteindre les objectifs climatiques d’après 2012. Certaines méthodes de réduction d’émissions à peu de frais concernent aussi les pays en développement et, pour que le coût global de l’action reste faible, il faut les utiliser. Cela ne signifie pas forcément que ces pays devraient financer la réduction des émissions : dans bien des cas, un « découplage » pourra être nécessaire entre les acteurs des réductions de carbone et ceux qui en supportent les coûts.
En l’état actuel, les émissions de GES, qui ont doublé depuis le début des années 1970, devraient augmenter de plus de 70 % entre 2008 et 2050. L’OCDE a représenté par des chronogrammes l’évolution des émissions selon des scénarios avec ou sans stratégie de réduction des émissions de GES, et a établi des projections jusqu’à la fin du siècle.
D’après les estimations intermédiaires, à défaut de politique obligeant à de nouvelles réductions, le climat se réchauffera d’environ 4 °C à l’horizon 2100 comparé aux niveaux préindustriels. Cette hausse provoquera vraisemblablement des phénomènes climatiques destructeurs, et même si les concentrations de GES se stabilisent par la suite, le réchauffement climatique se poursuivra au siècle prochain.
Dans l’un des scénarios d’atténuation des émissions examinés par l’OCDE, les concentrations de GES dans l’atmosphère finissent par se stabiliser au niveau de 550 parties par million (ppm) environ. Cela correspond à une stratégie de réduction relativement ambitieuse, moins cependant que certains des objectifs actuellement examinés ou proposés. Le modèle utilisé calcule le coût probable de la réduction de ces émissions.
Selon ce scénario, la croissance mondiale annuelle ralentirait de 0,13 points en moyenne entre 2008 et 2050, du fait de la réorientation des ressources affectées à la production de biens et services vers les efforts d’atténuation des émissions. Les premières années, l’impact sur la croissance du PIB serait faible mais il augmenterait de manière significative à partir de 2025. Ainsi, alors que dans un scénario de base excluant toute nouvelle politique on pourrait s’attendre à une croissance du PIB de 300 % entre 2005 et 2050, cette croissance serait de l’ordre de 295 % dans le scénario comportant une réduction des émissions. Toutefois, et l’OCDE insiste sur ce point, même si une stratégie ambitieuse de réduction des émissions est coûteuse, elle est économiquement rationnelle et garantira une croissance plus sûre à plus long terme.
Cette stratégie de réduction des émissions se fonde sur un prix implicite des émissions de GES, qui égalise les coûts d’atténuation entre toutes les sources d’émissions tout au long de la période considérée. Les options d’atténuation seraient de plus en plus coûteuses au fil du temps. Pour fixer un prix aux émissions, les solutions les plus évidentes sont les taxes sur les émissions, ou un système de plafonnement et d’échange. Les deux méthodes ont leurs avantages et leurs inconvénients. Il est vrai que les taxes renseignent clairement les pollueurs sur le prix, mais les gouvernements ne peuvent pas prendre d’engagements concernant le montant futur des taxes. Les systèmes de plafonnement et d’échange offrent plus de certitudes quant aux émissions qui en résulteront, mais le prix des permis est soumis à la loi de l’offre et de la demande.
Les stratégies gagnantes sont celles qui répartiront les coûts en tenant compte du fossé qui sépare les pays riches des pays pauvres, qui souffriront inégalement du changement climatique. Le rapport de l’OCDE définit des solutions possibles à ces inégalités, mais les obstacles sont nombreux et les choix délicats.
D’autres éléments du rapport donnent matière à réflexion. Par exemple, sur les « fuites de carbone », c’est-à-dire l’annulation potentielle des efforts de réduction d’émissions d’un pays causée par l’absence de mesures dans un autre pays. L’atténuation du changement climatique : que faire ? prévoit toutefois que l’accroissement du nombre de pays agissant contre les émissions réduira le taux de fuites. Selon le rapport, si un très petit groupe de pays s’unissaient pour agir, ceux de l’UE par exemple, les quelque 20 % de baisse des émissions ainsi obtenus seraient neutralisés par une augmentation des émissions dans d’autres pays (dans l’hypothèse d’une baisse de 50 % des émissions d’ici 2050). Toutefois, si on élargit le groupe de pays participants en y incluant ceux qu’il est convenu d’appeler les pays de l’Annexe 1 à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (grosso modo les autres pays de l’OCDE, la Russie et les économies en transition), ce taux de fuite ne représente plus que 9 % des émissions.
Le rapport tempère également l’optimisme quant aux solutions fondées sur la R-D, par le biais des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Elles contribuent à résoudre le problème, mais la R-D ne suffit pas. En l’absence de tarification des émissions de carbone, les politiques de R-D ne permettraient pas de stabiliser durablement les concentrations de GES, même si les dépenses augmentaient considérablement et même en cas d’avancées technologiques majeures. Car on passerait alors à côté des possibilités de réduction peu coûteuses qui existent déjà, comme l’amélioration de l’efficacité énergétique. À long terme, les émissions continueraient de dépasser la capacité d’absorption de la planète. Il est par ailleurs peu probable que les nouvelles technologies comme la rétention et le stockage du carbone, soient mises en oeuvre de manière suffisamment volontariste en l’absence de tarification des émissions.
Existe-t-il une stratégie mondiale viable de réduction des émissions ? Pour l’OCDE, c’est possible mais à plusieurs conditions. Premièrement, la stratégie doit être suffisamment crédible pour convaincre et changer les comportements, et suffisamment souple pour permettre des ajustements aux facteurs économiques et/ou environnementaux imprévus. Deuxièmement, un certain découplage s’impose entre les acteurs de l’atténuation et ceux qui en supportent le coût, afin que les réductions d’émissions aient lieu là où elles sont les moins coûteuses. Pour autant, la stratégie doit rester globale, autrement dit couvrir tous les gaz à effet de serre, dans tous les secteurs et dans la majorité des pays. Surtout, elle doit être mise en oeuvre dès maintenant, sans quoi nos leviers d’action à des coûts encore abordables finiront par être définitivement hors de portée.
OCDE
vendredi 20 mars 2009
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