***Alors que la Commission baleinière internationale se réunit à Agadir cette semaine pour rediscuter du moratoire instauré en 1982, un marin japonais témoigne de l'utilisation de la pêche scientifique à des fins de contrebande.
ans une autre vie, il maniait le couteau sur le pont d'un baleinier japonais, disséquant ces gigantesques léviathans au nom de la recherche scientifique. Aujourd'hui alors que le Japon cherche à mettre fin à 24 ans d'interdiction de chasse à la baleine, l'ancien pêcheur est sorti de l'ombre pour dénoncer le trafic organisé par ses anciens collègues. Chaque hiver, le Japon lance des missions de recherche (vitales selon le pays) dans les eaux glacées de l'Antarctique afin de mieux comprendre les cétacés, mais ces recherches sont aussi l'occasion pour les marins de s'emparer illégalement de la viande afin d'arrondir leurs fins de mois et même dans certains cas de doubler voire de tripler leur salaire annuel, explique cet ancien pêcheur devenu défenseur des baleines. Il se fait appeler M. Kujira (M. Baleine), car sa sécurité est menacée. Mais le risque en vaut la chandelle si le monde entier peut découvrir la face cachée de l'industrie baleinière du japon.
"Avant même d'arriver dans l'Océan Antarctique, les marins les plus expérimentés commencent à parler de la viande de baleine qu'ils vont rapporter chez eux pour la vendre. Ce n'est un secret pour personne. Même les représentants de l'Institut de recherches sur les cétacés [un organisme pratiquement public qui organise le programme baleine du Japon] sur le bateau savent de quoi il retourne, mais ils ferment les yeux. Certains pêcheurs détournaient entre cinq et dix paquets de viande. Un membre de l'équipage avait même réussi à mettre de côté 40 paquets de viande de premier choix, des morceaux qui peuvent atteindre les 180 euros le kilo sur les marchés. Un autre pêcheur s'est fait construire une maison avec l'argent ainsi récolté. Encore un autre s'est acheté une voiture. Ils ne sélectionnaient que les meilleurs morceaux : ceux proches de la queue. Je n'ai jamais osé leur dire quoi que ce soit", raconte-t-il.
Le Japon affirme que l'industrie baleinière, subventionnée à hauteur de près de 10 millions d'euros en 2008-2009, est très raisonnable et efficace. M. Kujira raconte au contraire qu'il arrivait parfois que le nombre de baleines péchées soit largement supérieur aux quotas autorisés, en outre l'équipage se contentait de prélever les morceaux de chair les plus recherchés puis rejetait les carcasses à la mer. Il s'est alors tourné vers Greenpeace. En 2008, l'organisation a lancé une enquête secrète sur le trafic organisé par l'équipe du Nisshin Maru. Deux militants, Junichi Sato et Toru Suzuki, ont intercepté une boîte contenant 23 kilos de chair de baleine - d'un montant estimé à 3 100 euros - dans un entrepôt au Japon qu'ils ont ensuite présenté à la justice comme preuve des malversations de l'équipage. Après avoir accepté d'enregistrer leur plainte, l'affaire a été classée sans suite et Sato et Suzuki ont été arrêtés pour vol et violation de propriété privée.
Les révélations de M. Kujira interviennent dans un contexte très particulier. La Commission baleinière internationale vient de s'ouvrir au Maroc pour discuter de l'éventuelle fin du moratoire sur la chasse à la baleine à des fin commerciales. Les pays qui chassent la baleine devraient alors accepter des quotas de prises plus faibles. Pour préparer cette rencontre, le Japon a eu recours à sa tactique préférée : elle a dépensé sans compter pour influencer les petites îles et même des pays sans accès à la mer au sein de cet organisme de 88 membres. Selon les termes du moratoire mis en place par la Commission baleinière internationale, le Japon est autorisé à pêcher un peu moins de 1000 baleines - surtout des petits rorquals - pour ses recherches scientifiques. La chair des animaux disséqués est ensuite vendue sur les marchés et les profits sont réinvestis dans les futures expéditions baleinières. Si le Japon a toujours nié acheter les voix des membres de la Commission, il reconnaît investir beaucoup d'argent dans le secteur de la pêche de certains de ses alliés et payer les frais des délégations les plus pauvres.
Selon M. Kujira, l'enquête de Greenpeace a contraint les membres des équipages des baleiniers à s'organiser différemment. "Selon mes sources, dit M. Kujira, grâce à la couverture médiatique donnée à l'affaire, la contrebande de viande de baleine s'est arrêtée. Les plus jeunes ont quitté la flotte parce qu'ils ne peuvent plus revendre de la viande de baleine au marché noir. Ils avaient rejoint l'équipage pour la seule raison qu'ils pouvaient se faire beaucoup d'argent à la fin de chaque voyage. C'était le seul avantage d'un boulot très dur. Les plus anciens restent pour pouvoir toucher leur retraite." M. Kujira essaie d'attirer l'attention des médias japonais, mais ces derniers rechignent à critiquer les massacres de baleines alors que le pays est déjà sous le feu des critiques du monde entier.
Justin McCurry
The Guardian
23.06.2010
Courrier International
mercredi 23 juin 2010
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